Sa décision fut prise en un instant. Elle s"approcha de l'évier ouvrit le robinet d'eau froide à fond et passa son âme sous le jet en la maintenant bien fort pour éviter qu'elle ne se débatte. Elle la connaissait trop bien , elle  aurait posé des questions, marchandé, fait  des promesses qu'elle n' aurait su tenir car elle ne les tenait jamais. C'était une âme qui s'écoutait trop. Elle la plongea dans un récipient et l'abandonna. Peut-être pourrait -elle sevir à quelqu'un qui passerait par là un jour , peu lui importait.
Ensuite elle se dirigea vers la baignoire et se penchant au-dessus, elle secoua la tête avec force pour faire tomber toutes ses pensées. Elle ne prit pas la peine de se déshabiller et de se plonger dans l'eau , non elle savait que si ses pensées soupçonnaient ce qu'elle allait faire , elles s'agripperaient , colleraient, refuseraient de la quitter. Normal elle les avait trop chouchoutées, trop gâtées elle leur avait accordé trop de liberté et le résultat elle pouvait désormais le contempler.
Lorsqu'elle les vit chuter elle s'empressa de faire couler l'eau et observa sans sourciller les bonnes, les douces, les tristes, les rigolotes ,les stupides  toutes emportées par le courant vers le siphon. L'eau tournoya un instant puiis s'engoufra dans le petit trou qui allait les emmener Dieu  et le plombier seuls savaient où.
Puis le plus difficile restait  à faire. Il battait la chamade effrayé par ce qu'elle venait de faire et se demandait quel sort elle lui réservait.  Elle ne lui laissa pas le loisir de se poser la question bien longtemps.  D'un geste rapide elle l'arracha et l'accrocha à la patère près de la porte d'entrée. Pétrifié et pendouillant il est clair qu'il ne servirait plus à rien ni à personne.
Libre ? Oui elle l'était désormais.

Avec  le temps elle était devenue ce qu'on appelle un accessoire  indispensable. Cet objet dont on ne peut se passer mais dont on serait bien incapable de donner la couleur avec précision.
Cette  chose qui lorsqu' elle  n'est plus à portée de main ou de vue nous fait perdre les pédales, un peu comme le portable ou les clefs de voiture.
L'accessoire indispensable on le voit mais on ne le regarde pas,  ou plus.
Quand un jour on en a  fait l'acquisition, certes on a choisi avec soin sa couleur , sa taille, ses fonctionnalités.
On l' a gardé longtemps... on ne sait pas trop pourquoi , par habitude, par flemme d'en changer, par manque de moyens qui sait ?
Puis avec le temps, technologie oblige  l'accessoire s'est rendu compte  qu'il avait un cerveau. Drame !  C'est extrêmement dérangeant un accessoire indispensable avec un cerveau...

Bon,  pleine de bonne volonté j'ai quitté des lieux profonds, sombres pour beaucoup mais ô combien lumineux  pour moi qui ai une préférence sans égale pour les  qualités du coeur  plus que pour un ciel pur et radieux.

J'ai grimpé le plus haut possible, comme me l'a appris un ami très cher pour  chercher  de hauts sommets et des cimes d'arbres " innatégnables" par le commun des mortels,  afin de  prendre de la hauteur. Je voulais un endroit stratégique pour relativiser ce que je vois , ce à quoi j'assiste à diverses échelles et en diverses occasions tout au long de la journée sur la télé, le net, au boulot  et dans la rue.

J'ai même blasphémé en transformant le titre de mon philosophe préféré Cioran (pour ne pas le nommer)   " Sur les cimes du désespoir" et  montrer ainsi ma bonne volonté.

Je pourrais me retirer dans un couvent, mais je n'ai pas envie d'avoir à faire à des culs bénis, ceux qui hantent mon entourage me suffisent..
Je pourrais émigrer sur une île déserte, mais je n'en ai pas les moyens...
Je pourrais squatter les cinémas et voir film sur film jusqu'à m'étourdir , mais la mauvaise éducation du public avec gsm qui sonnent  et échanges d'impressions à voix haute ne sont pas indiqués dans mon état...
Je pourrais m'abrutir de lectures comme je le faisais à 15 ans, mais j'ai lu tant de conneries et tant de médiocrités cette année que je suis trop fatiguée pour faire le tri et la part des choses...

Eurêka !!!  j'ai trouvé l'unique solution pour parvenir  à  vivre  l'esprit tranquille et le sourire aux lèvres.

Je vais devenir méchante, rendre coups pour coups ou carrément commencer par frapper même quand on ne  m'a rien fait.
Je vais être hypocrite et ne plus dire ce que je pense sauf quand les gens auront le dos tourné. 
Je vais médire , casser et démonter ceux qui m'ennuient quitte même à en rajouter.
Je ne serai désormais intéressée que par ma petite personne et ne penserai qu'à mon intérêt en toute chose,
Je ne m'attendrirai   plus sur le sort des miséreux, très souvent ils ne le méritent pas et sont prêts à vous assassiner dès que vous avez le dos tourné.

Quand on la vit débarquer, flottant dans sa jellaba grise sans forme, un immnese foulard en guise de hidjab mille fois ceint autour  de la tête, enveloppant son cou et descendant sur sa poitrine, on s'est regardées incrédules, désabusées, déçues , prêtes à faire demi tour et à nous passer de ce fameux cours de Zumba qui nous tenait tant à coeur. En tenue les filles nous lança-t-elle en disparaissant dans les vestiaires.

On se mit en place, fatiguées avant d'avoir commencé car on espérait une vraie zumbeuse comme dans les clips et on allait avoir à faire à une enfoulardée coincée qui éviterait certains mouvements qu'elle jugerait  peu halal. Mouvements érotico- sensuels du bassin qui font tout le charme de cette danse "latino/fitness"  coqueluche de toutes les salles de sport.

Et elle arriva...ce n' était  pas une fille , c'était une bombe dans tous les sens du terme . Physiquement et professionnellement. Ma description ne servirait à rien car elle serait en deçà de la vérité.

Bon,  certes il n'y avait pas d'hommes avec nous, mais son coup du foulard et de la jellaba sans forme , ne serait-il pas  un super coup marketing  plutôt qu'une conviction religieuse ? Nous ne  ne lui avons  pas posé la question,  ça nous est égal  et  depuis avec les copines nous "zumbons" régulièrement avec passion, nous nous éclatons sans retenue aucune dans une zumba désormais latino / orientale.  

Re-la-xez -vous dit-il   d'une voix posée, qui inspirait la confiance et pourquoi pas avec un effort ,  l'abandon.

Je dois faire comment pour y parvenir?

Installez-vous confortablement, là, fermez les yeux, laissez pendre vos bras...

J'ai fermé les yeux mais  des images défilent à 100 à l'heure qui m' empêchent de me concentrer !

C'est normal continua-t-il, soyez patiente...imaginez maintenant  que vous êtes seule, vous avez oté vos vêtements et vous entrez dans la mer  ...l'eau est limpide, transparente ...détendez-vous...l'eau a la température de votre corps...vous vous sentez bien ...vous vous laissez aller , vous flottez sans efforts...une vague arrive, douce, odorante elle  vous enveloppe ...vous pénètre par  tous les pores, purifiant l'intérieur de votre corps, vos organes ....elle se retire et emporte avec elle tout ce qui vous dérange, ce qui  vous ennuie ou vous fait du mal... vous vous sentez bien,  légère , relaxée...
Après un bon moment il ajouta  doucement : réveillez-vous

Elle ouvrit les yeux , reposée, détendue, souriante et quand elle  le regarda elle vit qu'il la fixait avec de  grands yeux ahuris, affrayés , incrédules...elle était toute nue et dégoulante d'eau salée.

Il ignorait qu'elle  prenait très à coeur  tout ce qu'elle entreprenait...

Cela faisait des heures qu’il marchait lorsque

Le cri  éclata du côté de la falaise

Comme   un  sanglot rauque et prolongé…

Les rochers durs vibrèrent  et l’écume en trembla

Il courut plaquant les mains sur ses yeux sur ses oreilles

Fuyant le  ciel crevé  qui se liquéfiait

Au son de  cette  douleur…

Lorsqu’  il  comprit enfin

Que ce cri, c’est lui qui le poussait